Thứ Năm, 22 tháng 11, 2012

Les musulmans de Châu Đốc (Vietnam) à l’épreuve du salafisme

Les musulmans de Châu Đốc (Vietnam) à l’épreuve du salafisme


Agnes de la Feo, 2009

Comme les autres pays d’Asie du Sud-Est, le Việt Nam possède lui aussi sa communauté musulmane. Estimés dans les statistiques officielles à 65 000 personnes, soit 0,08 % de la population nationale (Lê 2003), les musulmans vietnamiens sont majoritairement représentés par les Chams. D’origine linguistique austronésienne, ce peuple a une histoire et une culture différentes de celle des Kinh du Việt Nam. Ils sont les héritiers du royaume indianisé du Champa qui a occupé le Sud du Việt Nam actuel duviie siècle à 1832. S’il a aujourd’hui disparu, progressivement conquis par les Việt, les derniers Chams du Champa peuplent toujours le sud de l’ancien territoire, les provinces aujourd’hui vietnamiennes du Ninh Thuận et Bình Thuận. Loin du Champa, l’ouest du delta du Mékong (provinces de An Giang et Tây Ninh), ainsi que Hôchiminh-ville abritent une autre communauté Chams (voir infra statistiques). Ces derniers sont musulmans sunnites shafii1 et observent strictement les rites islamiques, contrairement aux musulmans de l’ancien Champa, les Chams Bani, qui professent un islam hétérodoxe où se sont greffées les anciennes croyances hindoues du Champa2.
Les alentours de la ville de Châu Đốc (province d’An Giang), située à la frontière avec le Cambodge, comptent la plus forte communauté de musulmans shafii du Việt Nam, 13 000 personnes réparties en neuf villages3. De par leur orthodoxie religieuse, ces musulmans ont été traditionnellement reliés aux sultanats malais (notamment le Kelantan), au Sud musulman de l’actuelle Thaïlande, et aux lieux saints d’Arabie Saoudite pour le hajj (le pèlerinage à La Mecque) depuis la fin du xixe siècle. Dans les années 19604, l’islam salafi5, également nommé réformiste, propagé depuis l’Arabie saoudite et l’Égypte, utilise ces réseaux pour s’imposer au Việt Nam. Cependant, l’intransigeance des nouveaux partisans du salafisme a rencontré de fortes réticences de la part des Chams. Nous verrons dans cet article6, à travers le cas des villages musulmans de la région de Châu Đốc et en s’appuyant sur la mémoire orale de la communauté, comment les Chams ont vécu l’arrivée de cet islam réformé, tout en s’intéressant à la politique vietnamienne à l’égard des religions depuis 1975.
Fig. 1 : Musulmans du Cambodge et du Vietnam
Bản đồ các địa điểm phân bố người Chăm ở Việt Nam

Histoire des Chams de Châu Đốc

La présence de Chams à Châu Đốc (Moat Chrouk en khmer) est relativement récente. Elle remonte au début du xixe siècle dans le cadre de la politique de consolidation des acquis du Nam Tiến (descente vers le Sud) par les Nguyễn. Après avoir entièrement conquis le Champa, dont la dernière principauté, le Panduranga tombe en 1832, le Đại Nam poursuit sa conquête du delta du Mékong alors territoire appartenant au mandalakhmer. Avec une habilité politique certaine, les Vietnamiens font appel aux Chams et aux Malais minoritaires (nommés Chvea, ce qui indiquerait leur possible origine javanaise) installés au Cambodge. Les travaux de Nicolas Weber, qui a travaillé sur les sources historiques vietnamiennes, ont montré que cette mobilisation faisait « partie intégrante du processus de colonisation du territoire cambodgien » (Weber 2005 : 171-172). En 1834, le général Trương Minh Giảng insiste auprès de l’empereur Minh Mạng sur la nécessité de rassembler les Chams et les Javanais [Chvea] du Cambodge. Pour se faire, ils utilisent un ancien contentieux entre Khmers et Chams datant de la première moitié du xviiie siècle pour justifier leur intervention (Weber 2005 : 173-174). Une fois le territoire du delta du Mékong sous contrôle, les Vietnamiens enrôlent des Chams du Cambodge dans l’armée vietnamienne, cette même armée qui a vaincu le Panduranga deux ans plus tôt, rayant définitivement le Champa de la carte.
La participation des Chams et Chvea du Cambodge au processus de colonisation du territoire cambodgien ne se limite pas au domaine militaire puisqu’ils sont également sollicités par les Vietnamiens dès 1818 pour mettre en valeur ces nouvelles terres, développer l’économie et défendre les frontières contre d’éventuelles révoltes khmères ou poussées siamoises. C’est ainsi que des communautés chams et Chvea s’installent dans les provinces de Tây Ninh et An Giang, tandis qu’un contingent de deux mille Chams originaires de Phnom Penh arrive à Châu Đốc en 1841.
La deuxième vague de Chams à Châu Đốc date de 1858. Suite à la répression d’une importante révolte de Chams et de Chvea dans la province cambodgienne de Tbong Khmum, les meneurs se réfugient à Châu Đốc et s’y installent avec l’accord du gouverneur militaire vietnamien. L’année suivante, ceux-ci attaquent Phnom Penh et la capitale royale de Oudong, toujours avec l’aval des autorités militaires vietnamiennes, et provoquent l’arrivée à Châu Đốc d’autres Chams (Mak Phœun 2003 : 91).
Ainsi, les descendants des exilés chams au Cambodge, dont le propre royaume avait été détruit par le Đại Nam, ont pris une part active dans la politique vietnamienne d’assimilation des Khmers. Cette participation fut selon Nicolas Weber récompensée puisque ces Chams ne firent pas l’objet de vietnamisation, à la différence de ceux du Panduranga nouvellement conquis (Weber 2005 : 202). Cette politique à deux vitesses se retrouve un siècle plus tard, en 1975, au moment de la réunification. Les Chams de l’ancien Panduranga, dépossédés de leurs terres confisquées par les nouvelles autorités vietnamiennes, perdent les fondements de leur structure sociale fondée sur les génies locaux (Po Dharma 2003). Les Chams du delta, eux, ne connaîtront pas une telle acculturation, du fait aussi du système de l’islam orthodoxe qui les relie au reste du monde musulman vécu comme un ensemble identitaire. Selon Po Dharma, la seule tentative de « formatage » des musulmans du delta du Mékong en 1975 par les autorités vietnamiennes a été l’imposition du portrait de Hồ Chí Minh dans les mosquées. Cette décision devait être rapidement annulée après un mois de négociation avec les imams des villages7.

La généalogie des Kaum Muda

    Depuis que Đa Phước, que l’on atteint depuis Châu Đốc par le bac de Cồn Tiên, a été choisi par les autorités vietnamiennes comme vitrine de l’islam au Việt Nam, le village est devenu le passage obligé des groupes de touristes. Une visite de Đa Phước est toujours incluse dans les Mekong toursde quelques jours proposés par les agences de voyages de Hôchiminh-ville. Il s’agit d’un système touristique proche de celui mis en place autour du caodaisme dans la ville de Tây Nin8. L’afflux est tel que deux boutiques de souvenirs, dont l’une se situe dans l’enceinte de la grande mosquée, ont ouvert, vendant hijab (voile islamique), kopiah (calotte blanche) ou koper(fez noir d’origine malaise). Pour rentabiliser au maximum leur commerce, les Chams font venir la majeure partie de la marchandise d’autres régions du pays comme les tissages hmong ou coho. Un curieux mélange culturel imposé par les lois du commerce.
      Derrière la façade touristique et la réussite commerciale de quelques villageois, Đa Phước a marqué la mémoire collective. Dans les années 1960, le village a été le siège d’une grande discorde entre musulmans de la région, la grande fitna entre Kaum Muda et Kaum Tua9 (le groupe des jeunes et celui des vieux), entre réformistes et traditionalistes. C’est le village d’origine de Mohamad Badri10 qui y a introduit l’islam salafi, rencontrant de fortes résistances parmi les tenants de l’islam « traditionnel » cham.
      Né en 1921, Mohamad Badri11 se trouve tôt orphelin et part à vingt ans étudier au village de Trea au Cambodge, dans la province de Kompong Cham limitrophe du Việt Nam. Marcel Ner, associé à l’École française d’Extrême-Orient de 1929 à 1937, effectue ses recherches à la même époque. Il décrit le village de Trea comme un centre important d’enseignement de l’islam pour les Chams des deux pays (Ner 1941). Le parcours classique des étudiants consistait à poursuivre leurs études au Kelantan en Malaisie britannique, considéré comme le « le balcon de La Mecque » (serembi mekka), avant de rejoindre les grandes universités du monde arabe (Guérin 2004). C’est ce que fait Mohamad Badri. Après Trea il étudie au Kelantan, puis il obtient un doctorat d’études islamiques à l’université d’Al Azhar au Caire. À son retour, il suit plusieurs années l’enseignement de l’Imam Rosali au village de Châu Giang (que l’on atteint par l’autre bac depuis Châu Đốc). Enfin au début des années 1960, à l’âge de quarante ans, il découvre le salafisme avec l’imam Moussa, un Cham cambodgien qui, en 1954, a introduit cette nouvelle doctrine au Cambodge à son retour du Kelantan12. Lors d’un pèlerinage à La Mecque, Mohamad Badri confirme son adhésion au salafisme qu’il oppose à « l’égarement et l’ignorance » des musulmans de son village. Selon ses proches, il a été le premier salafi de la région. Mais tous ne s’accordent pas sur ce point. Pour ustaz Ahmad, imam de la mosquée salafi Muhammadiya de Châu Phong (village limitrophe de Châu Giang), c’est Hadji Ayoub (Abdul Ayoub ben Hossein)13 qui fut le premier à introduire le salafisme à Châu Đốc. Il raconte : « C’est Hadji Ayoub qui nous a apporté, dans les années 1960, notre premier livre d’al-Azhar que je possède toujours14. » Hadji Ayoub a lui aussi étudié au Kelantan en Malaisie et s’y est marié. Puis il a poursuivi ses études à La Mecque. Actuellement sa petite-fille, ustazaMariam, est très active dans la propagande salafi à Hôchiminh-ville. Elle possède un petit commerce de tableaux laqués de style vietnamien déclinés à la mode musulmane qu’elle vend aux touristes de Malaysia. Ils représentent des versets du Coran et des mosquées, « sans aucun oiseau car il est interdit de représenter les animaux dans notre religion », un interdit qu’elle dit imposé par l’islam salafi. Elle se souvient de son grand-père :
        « C’est mon grand-père qui a apporté le salafisme ici, avec son jeune frère Abubakar qui avait aussi étudié au Kelantan. Il est revenu deux fois à Châu Phong. Mon grand-père me racontait qu’au départ, lorsque la mosquée Muhammadiya de Châu Phong a été construite en 1963, les salafin’étaient que 37 personnes. C’était un tout petit groupe. Mais aujourd’hui ce sont plus de trois cents familles15. »


        Quelles que soient les divergences quant à l’introducteur du salafisme au Việt Nam, les adeptes du Kaum Muda s’accordent sur la condamnation de ce qu’ils considèrent comme des bidâa (innovations blâmables), des coutumes plus culturelles que religieuses que pratiquent les musulmans du monde entier. Ces bidâa peuvent aller de l’association (shirk) qui consiste à ajouter de façon syncrétique une autre divinité, comme la déesse chame Po Nagar16 chez les Chams Bani, à des pratiques moins hérétiques comme la célébration du Maulot (arabe mawlid), l’anniversaire du Prophète, ou le pèlerinage sur les tombes des saints musulmans et les prières pour les morts. Or, pour les partisans du salafisme, tout ce qui n’est pas stipulé dans le Coran et la Sunna (ensemble des faits et gestes du Prophète compilés dans les Hadith) doit être expurgé de la religion.
            Le Maulot est le premier rite à faire l’objet d’une condamnation de la part des muda. Pour ustaz Ahmad de Châu Phong, ceux qui célèbrent le Maulotsont comme les chrétiens qui fêtent Noël, la naissance de Jésus17. Pour lesmuda, cette cérémonie est inacceptable. Le second rite à rencontrer la ferme désapprobation des salafi est le culte des saints (wali) et les pèlerinages sur leur tombe (makham) le jour anniversaire de leur décès, ainsi que certaines cérémonies pour les morts accompagnées d’offrandes de nourriture. Il existe trois makham dans l’environnement de Châu Đốc : celui de Omar au village de Kor Khoi, celui de Kosim à Plaew Ba et celui de Ahmad près du village de Kor Tbong. Selon les habitants, ces wali d’origine arabe seraient morts il y a trois cents ans, mais les détails historiques de leur vie restent flous. Certains disent même qu’Ahmad n’a jamais existé et se serait simplement manifesté en rêve en réclamant une tombe. Omar et Kasim se partagent les mêmes légendes souvent liées à la navigation du fait que l’endroit revêtait une place de première importance pour le commerce fluvial. À ce sujet, il se raconte qu'un bateau était en train de couler avec un trou dans sa coque. Lorsqu’Omar apprend la nouvelle, il mélangea de la terre et de l’eau pour en faire de la colle et boucha le trou à distance. La légende la plus populaire est commune aux deux wali à la fois. Un bateau passait avec un chargement de sucre, de sel ou de crevettes selon les versions. Le wali demanda ce qu’il transportait. Le propriétaire du bateau répondit, sans doute pour les besoins de la contrebande, qu’il s’agissait de sable. Deux kilomètres plus loin, il s’aperçut que sa précieuse cargaison s’était transformée en sable. Devant ses pleurs, le wali lui restitua les denrées d’origine en lui enjoignant de ne plus mentir. Enfin, alors que la tombe du wali était située près de la rivière, une année de fortes inondations celle-ci se déplaça toute seule vers un endroit au sec. Leur pouvoir perdure après la mort et justifie le culte rendu sur leur tombe qui constitue un karamat, un lieu sacré auquel on attribue des pouvoirs surnaturels. L’intégration de ces makham dans la constitution identitaire des Chams et dans l’espace donne une légitimité à leur implantation dans la région (Taylor 2007). Ils protègent aussi la communauté des Vietnamiens qui les entourent et qui suscitent bien des méfiances (Dohamide et Dorohiêm 2004 : 27sq). Les légendes racontent que si un Vietnamien ne respecte pas les makham, il tombe malade. Ceux-ci sont nombreux à craindre les pouvoirs thaumaturgiques des Chams, réputés pour leur magie noire. C’est pourquoi malgré la condamnation du culte des wali par lesKaum Muda, il reste jalousement pratiqué par les Kaum Tua.
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            Vingt-cinq ans après la mort de Mohamad Badri, son petit-fils Abdulazim, né aux États-Unis et fraîchement retourné au village de ses ancêtres, continue le combat :
            « La majorité ici est shafii. Le problème n’est pas qu’ils soient shafii mais qu’ils utilisent des pratiques qui n’ont rien à voir avec l’Islam. Après la prière, on ne se passe pas la main sur le visage comme chez les shafii et on dit « bismillah » [au nom de Dieu] en silence. Mais eux ne sont pas d’accord, ils disent bismillah n’importe quand et à haute voix18. »
            Ces différences rituelles, acceptées entre les différentes mazhab (les quatre écoles juridiques du sunnisme) du fait que la gestuelle du prophète a elle-même varié tout au long de la révélation, sont refusées par les partisans des salaf. Les salafi cherchent à dépasser les différences entre mazhab en imposant un seul rituel et en consignant cette pratique dans ses moindres gestes.

            La grande fitna, ou l’opposition entre les anciens et les modernes


            Le salafisme, à son arrivée au début des années 1960, prend le nom vietnamien de Đạo Mới (Nouvelle Religion) du fait qu’il s’entoure d’une valeur de modernité. Son introduction crée d’importants conflits dans les villages musulmans. Les tua, le clan des anciens, n’acceptent pas cette nouvelle pratique qui leur est imposée. Les deux camps s’opposent : les muda, représentés par Mohamad Badri de Đa Phước et Hadji Ayoub de Châu Phong, et les tua, par Rosali (Magli) et Idris tous deux de Châu Giang. Ce village de Châu Giang, entièrement fermé au modernisme islamique, peut être considéré comme le bastion de la résistance contre les muda.


            Muda et tua cessent de se fréquenter et même de communiquer. Les relations s’enveniment très vite. Abdulazim, petit-fils de Mohamad Badri, raconte comme s’il l’avait vécue une histoire que lui ont raconté les anciens : « Les tua voulaient nous tuer, ils nous jetaient des pierres. Les membres d’une même famille étaient divisés, ils se faisaient la guerre. Lesmuda étaient rejetés par leur propre famille. » Le même conflit a débuté une décennie plus tôt au Cambodge après l’introduction du salafisme par l’imam Moussa, poussant les couples à divorcer, les frères à se faire la guerre (Collins 1996 : 54a).


            Rosali et Idris tentent de trouver un accord en 1966, sans succès. Les deux parties s’accordent néanmoins pour créer la même année une nouvelle organisation nommée Conseil des dignitaires islamiques vietnamiens à Châu Đốc. Cette association coexiste avec la Camsa (Association des Chams musulmans vietnamiens), créée sous Ngô Đình Diệm (1955-1963), jusqu’en 1975 (Nguyễn 2006 : 77). Mais aucune association ne parviendra à rétablir la paix.
            Quarante ans plus tard, le ressentiment est toujours là. Tout est bon pour décrédibiliser l’autre partie, notamment par la diffamation politique. Pourustaz Ahmad, le leader muda actuel de Châu Phong, tout vient de hakemMusa, un tua du village de Kor Tbong : « C’est lui qui a créé la fitna car c’était lui le leader. Avant 1975, il soutenait l’ancien gouvernement comme les autres tua. Tous travaillaient pour le gouvernement précédent. Mais après 1975, avec le nouveau pouvoir, tout a changé pour lui19. » La période qui suit la victoire du Nord communiste sur le Sud en 1975 marque un moment de grande méfiance vis-à-vis des religions qui viennent de l’étranger, notamment envers les muda qui représentent une force liée aux États musulmans. L’Association des musulmans du Việt Nam est interdite (et ne sera à nouveau autorisée qu’en 1992). Puis en 1986, à la suite de son vie Congrès, le PCV initie une phase d’ouverture (Đổi mới). Une politique vis-à-vis de l’islam se met en place avec l’autorisation pour les organisations musulmanes de propager la religion et d’enseigner l’arabe (Nguyễn 2006 : 75).


            Dans la phase d’ouverture du Đổi mới, la politique du parti reconnaît les religions mais entend avoir pour chacune d’entre elles des organismes représentatifs centraux, fiables politiquement. Le gouvernement vietnamien exige, comme des autres religions, que soient créés des organes représentatifs de l’islam, interlocuteurs officiels du bureau des Religions (Trần 2004). Le Ban Đại Diện Cộng đồng Hồi giáo (Comité représentatif de la communauté musulmane) de Hôchiminh-ville est créé le 7 février 199220, composé de sept membres. Cette institution est chargée de gérer la participation des fidèles au pèlerinage à La Mecque et aux concours de récitation du Coran organisés en Malaisie. Elle s’occupe également de l’envoi d’étudiants dans les universités musulmanes étrangères. Le Ban Đại Diện, qui ne compte que des tua parmi ses membres, a été pendant longtemps un frein à la propagation des idées muda.

            En 1993, un an après la création du Comité, un mécène de Dubai de la tendance réformiste, Sheikh Mohamed Kasim, a fait reconstruire et agrandir la mosquée salafi Muhammadiya de Châu Phong (construite une première fois en 1963). Cette mosquée, qui permet aux muda d’avoir leur propre lieu de culte, améliore les relations entre communautés. Le même mécène finança en 2002 la construction de deux petites mosquées répertoriées comme surau (salle de prière), al-Sunnah à Đa Phước et Hayat al-Islam à Châu Phong. Ce sont les seuls lieux de culte salafi du Việt Nam.

            Les salafis aujourd’hui : réseaux et financements transnationaux

              La tradition du salafisme perdure aujourd’hui grâce aux ONG des pays du Golfe qui s’en font le relais à travers l’aide humanitaire, les fonds octroyés pour la construction de mosquées et le financement de bourses pour le pèlerinage à La Mecque et les études à Médine.

              Dans une enquête sur la situation religieuse au Việt Nam (Amor 1999), l’Association des musulmans du Việt Nam, tout en reconnaissant la liberté religieuse dont ils bénéficient, a « néanmoins regretté le manque de ressources financières nécessaires au développement de la religion musulmane au Việt Nam. Tout en appréciant les dons matériels et financiers de l'étranger (Arabie Saoudite, Koweït, Indonésie, Malaisie), ils ont souhaité une assistance financière accrue. »
              Cette quête d’argent entraîne une dépendance financière croissante qui touche les musulmans du delta du Mékong et d’Hôchiminh-ville. Comme au Cambodge, ces fonds étrangers enveniment les relations entre musulmans, créant de grandes rivalités entre villages et des ressentiments amers chez ceux qui passent à côté des dons. C’est à celui qui se dotera de la mosquée la plus impressionnante, au style le plus moyen-oriental.

              Dans un livre publié à Hà Nội en 2001, Phan Hữu Đạt accuse les Chams de Châu Đốc de nouer des relations avec dix ambassades de pays musulmans dans le seul but d’obtenir des subventions destinées aux constructions de mosquées, à l’encadrement des jeunes Chams dans madrassa (écoles coraniques) de Châu Đốc ou dans les institutions islamiques à l’étranger. L’auteur les accuse également de vouloir acquérir la citoyenneté malaise afin de quitter le Việt Nam pour se réfugier en Malaisie (Po Dharma 2007).

              L’argent suscite des jalousies et continue d’attiser le conflit entre Kaum Muda et Kaum Tua, car ce sont toujours les muda qui reçoivent les fonds. Du fait de leur éducation au Proche-Orient, les muda maîtrisent parfaitement l’arabe et sont les interlocuteurs privilégiés des donateurs des pays du Golfe. Mohamad Badri augmenta ainsi son prestige auprès des riches donateurs étrangers. Les meilleurs arabophones d’aujourd’hui sont ustazIlyas et ustaz Ahmad de Châu Phong. Les tua, qui maîtrisent peu l’arabe, les accusent de capter tous les fonds. Ainsi Salex, jeune tua de Châu Phong, voit-il d’un mauvais œil ces transactions financières qui échappent à sa communauté et nourrissent la discorde sociale : « Ce matin, je suis passé devant la maison d’ustaz Ilyas. Je l’ai vu faire ses comptes, il avait de grosses liasses de billets qu’il a amassées pour lui tout seul21. » Les muda sont vus par leurs adversaires comme des opportunistes, des prévaricateurs empochant l’argent des riches Arabes pour leur propre compte et, enfin, comme des traîtres à la cause des Chams puisqu’ils cherchent à éradiquer, uniquement pour de l’argent, des pratiques qui constituent leur fonds identitaire.

              Inversement les muda revendiquent une supériorité intellectuelle sur lestua : « Les tua n’apprennent pas, ils suivent leurs parents. Alors que lesmuda ont beaucoup de connaissance22 », raconte ustaz Ahmad qui ne cache pas son mépris pour les tua.


              Si l’islam réformiste remporte peu de succès auprès des anciennes générations, il s’impose davantage chez les jeunes, envoyés, grâce à des bourses attractives, dans les universités islamiques du Golfe. Ils en reviennent en condamnant les bidâa de leur culture d’origine. Ce circuit typique a été suivi par Abdulnafii23, devenu muda en Arabie saoudite. Abdulnafii a d’abord étudié trois ans à Chom Chao, dans la banlieue de Phnom Penh, une école mise en place et financée par la RIHS (Revival Islamic Heritage Society), une ONG basée au Koweit très active au Cambodge. Il a ensuite poursuivi pendant six ans ses études à Médine, à l’IUM (Islamic University of Madinah). Créée en 1961 pour concurrencer Al-Azhar au Caire, l’IUM est devenue un organe très important de diffusion des idées salafi à l’étranger. Elle accueille actuellement 6 000 étudiants dont 80 % seraient d’origine étrangère24. C’est un must pour les muda. Le petit-fils de Mohamad Badri, Abdulazim, rappelle : « Mon grand-père a tout fait pour que les garçons de sa famille passent par l’IUM. » Une cinquantaine de musulmans vietnamiens y étudient aujourd’hui. L’International Islamic University Malaysia (IIUM), à Kuala Lumpur, accueille également une cinquantaine d’étudiants musulmans du Việt Nam25. Contrairement à l’IUM, l’IIUM ne favorise pas l’éradication des bidâa et mise sur l’enseignement séculier. En fait la majeure partie des étudiants ne choisissent pas les matières religieuses mais les nouvelles technologies, comme la jeune Solihah de Châu Giang qui pour sa part n’a rien changé à la religion de ses ancêtres25.

              Le hajj reste un immense vivier pour la propagation du salafisme. Le roi d’Arabie saoudite sponsorise chaque année au Việt Nam 30 pèlerinages, Dubai en finance six. Abdulhalim Ahmed, un ancien Cham Bani converti à l’islam orthodoxe et exilé aux États-Unis, est le représentant depuis 2007 de l’Arabie saoudite au Việt Nam et au Cambodge pour choisir les bénéficiaires de ces bourses au pèlerinage. Il a été l’un des responsables de la traduction du Coran en vietnamien, entreprise par Từ Công Thu. Salaficonvaincu, il a fait construire une bibliothèque islamique à la mosquée de Chrok Romiet au Cambodge, village natal de son épouse où il vient de s’installer. Le fait que l’Arabie saoudite ait retiré au Ban Đại Diện le soin de sélectionner les candidats au hajj pour confier ce choix à un salafi peut être interprété comme une victoire du clan muda. Pourtant, malgré le poids financier que représentent ces mécènes du Golfe persique, l’islam salafireste marginal au Việt Nam. Un autre grand mouvement néo-fondamentaliste de l’islam, la Tablîghî Jamâ‘at, qui base son idéologie sur l’engagement bénévole de ses membres, sans faire aucune donation, tire les bénéfices de l’échec du salafisme.



              La Tablîghî Jamâ‘at est un mouvement missionnaire de l’islam, né à Delhi en Inde en 1927, qui base la pratique religieuse sur l’imitation de la vie du Prophète et de ses compagnons. Comme les salafi, les tablîghî ne transigent pas sur les innovations blâmables (bidâa). Mais contrairement à eux, ils ont réussi à bien s’implanter dans le village de Châu Giang, le village des tuaqui a toujours symbolisé la résistance aux muda. Au lieu de condamner ce qui appartient à la culture identitaire des Chams et se mettre à dos la population comme l’avaient fait les salafi, les tablîghî optent pour la persuasion, le dévouement et une savante gradation dans la condamnation des bidâa. Moins éradicateurs que les salafi, ils n’exigent pas d’emblée une réforme totale de la pratique et admettent une période d’adaptation. À Châu Đốc, ils se montrent tellement consensuels, en acceptant par exemple le culte des makham, que les muda, comme ustaz Ahmad, les rangent dans le clan des tua. Mais en position de force dans un pays musulman comme la Malaisie, ils sont catégoriques et ne s’encombrent pas de précautions oratoires pour condamner tout ce qui, à leurs yeux, n’est pas strictement islamique.
                À Châu Đốc, le Tablîgh accepte donc les cultes des tombes des saints musulmans. L’émir du Tablîgh, Hadji Musa, de la mosquée Mubarak à Châu Giang assiste en grande pompe à la cérémonie du Maulot de sa mosquée, alors que celui-ci est en théorie condamné par le Tablîgh comme par les autres mouvements néo-fondamentalistes.

                Alexander Horstmann a constaté la même politique en Thaïlande près de Nakhnon Si Tammarat où les musulmans cohabitent avec une majorité bouddhique. Ainsi un imam engagé dans le Tablîgh continue d’exercer ses fonctions de guérisseur et d’astrologue et reste renommé pour sa magie noire, sans souffrir de la contradiction (Horstmann 2007 : 122). L’auteur y voit une incapacité de la Tablîghî Jamâ‘at à remplacer la cosmologie villageoise. On peut aussi l’interpréter comme une tolérance provisoire, jusqu’à ce que le membre, à force d’enseignement, se persuade lui-même d’abandonner ses anciennes pratiques.

                Ce « laxisme » apparent, qui ne heurte jamais de front les croyances locales, vaut au Tablîgh d’attirer les musulmans les plus traditionalistes qui espèrent ainsi trouver un mouvement d’opposition aux salafi. Néanmoins cette tolérance apparente n’est que provisoire et correspond à une première étape de séduction. Dans la phase suivante d’enrôlement, le Tablîgh se radicalise et peut provoquer un violent rejet des villageois (ibid. : 124). Car la véritable fin pour ses partisans est la même que pour le salafi : imiter le Prophète dans ses gestes les plus intimes et les plus profanes de la vie courante, en éradiquant les marqueurs identitaires de la religion. Marc Gaborieau a bien démontré, pour le monde indien, comment derrière des aspects soufis inoffensifs le Tablîgh possède un programme de réforme de toute la société (Gaborieau 2006).

                Pour l’instant, le Tablîgh, qui base essentiellement son action sur ses missionnaires itinérants, n’est pas en position de force au Việt Nam du fait des restrictions imposées par l’État. Tout comme en Chine, les tablîghî n’ont pas le droit de dormir dans les mosquées, ce qui les oblige à payer l’hôtel. De plus, les jamaat (groupes de tablîghî) qui viennent de l’étranger sont interdits dans le delta du Mékong et à Phan Rang.

                Mais au Cambodge, le Tablîgh a réalisé une forte percée dès le début des années 1990 et provoqué une nouvelle fitna, créant de nouveaux clans et une nouvelle « guerre des mosquées » (De Féo 2005). Ce mouvement a eu pour conséquence que beaucoup de Chams au Cambodge renient aujourd’hui leur identité ethnique au profit d’un standard musulman international, faisant fi des particularités historiques et culturelles.


                Si à Châu Đốc les tensions entre muda et tua existent toujours, la guerre est néanmoins finie. Le gouvernement vietnamien a obligé les deux communautés à s’entendre avec la liberté pour chacun de suivre l’islam qu’il souhaite. Les muda ont finalement suscité un rejet quasi unanime de la population pour avoir tenté de détruire les fondements identitaires des Chams. Cependant, une autre bataille est venue succéder à la première, émanant du Tablîgh qui tente de prendre le pouvoir religieux sur les villages comme il l’a fait au Cambodge. Pour l’instant, la politique de contrôle des religions a permis de contenir les ambitions du Tablîgh qui n’a pas dépassé la première phase de séduction. Paradoxalement, les autorités vietnamiennes pourraient bien être les derniers remparts de l’identité chame.

                Tài liệu tham khảo:
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                3. Ban đại điện Cộng đồng Hồi giáo Thành phồ Hồ Chí Minh, 1999, « Mosques and Surau in Hô Chi Minh City and Neighbouring Provinces », (document présentant la liste des mosquées et surau par province, leur nom, leur adresse et l’imam qui en a la charge), 3 p.
                4. CABATON, Antoine, 1907, « Les Chams musulmans de l’Indo-Chine française », Revue du monde musulman, (avril) II (7) : 129-180. (disponible sur le site aefek.free.fr/bibliotheque).
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                7. DE FEO, Agnès, 2006, « Transgressions de l'islam au Vietnam », Cahiers de l’Orient, 83 : 133-142 (disponible sur www.chamstudies.com).
                8. DOHAMIDE and DOROHIEM, 2004, Bangsa Champa. Tìm về vợi một cội nguồn cách xa, California : Deacaef and Viet Foundation (en vietnamien).
                9. DURAND, E.M., 1903, « Les Chams bani », Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient (BEFEO) III : 54-355.
                10. GABORIEAU, Marc, 2006, « What is left of Sufism in Tablîghî Jamâ‘at ? »,Archives de sciences sociales de religions, (juillet-septembre) 135 : 53-72.
                11. GUERIN, Mathieu, 2004, « Les Cam et leur “véranda sur La Mecque”, l’influence des Malais de Patani et du Kelantan sur l’islam des Cam du Cambodge », Aséanie, 14: 29-68.
                12. HORSTMANN, Alexander, 2007, « The Inculturation of a Transnational Islamic Missionary Movement : Tablighi Jamaat al-Dawa and Muslim Society in Southern Thailand », Sojourn (Journal of Social Issues in Southeast Asia), 22 (1) : 107-130.
                13. KHIN Sok, 1991, Le Cambodge entre le Siam et le Viêtnam (de 1775 à 1860), Paris : Publications de l’École française d’Extrême-Orient.
                14. KHIN Sok, 2002, L’Annexion du Cambodge par les Vietnamiens au xixe siècle, d’après les deux poèmes du vénérable Bâtum Baramey Pich, Paris : Editions You Feng.
                15. LABUSSIERE, A., 1880, « Rapport sur les Chams et les Malais de l’arrondissement de Chaudoc », Excursions et reconnaissances, II (6) : 373-380.
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                22. NGUYỄN Minh Quang, 2006, Religions au Vietnam, Hà Nội : Thế Giới (1re éd. 2001).
                23. PHÚ Văn Hẳn, 2000, « Community of Islam Formation and Integration into Vietnam, Alternating with Southeast Asia in 21th century », in Islamic Studies in ASEAN, Presentations of an International Seminar, published by College of Islamic Studies : Prince of Songkla University (Thailand).
                24. PO Dharma, 2003, « L’idéologie de l’État vietnamien et les pratiques religieuses des Cam actuels de 1975 à 1988 », in Religions et États en Indochine contemporaine, Gilles Delouche (éd.), Paris : Publication du Centre d’histoire et de civilisation de la péninsule indochinoise, p. 77-92.
                25. PO Dharma, 2007, Note de lecture de l'ouvrage de Phan Hữu Dật : Mấy vấn đề lý luận và thực tiễn cấp bách liên quan đến mối quan hệ dân tộc hiện nay, Nhà Xuất bản Chính trị Quốc gia, Hà Nội (2001), in Champaka, 4 : 229-249.
                26. TAYLOR, Philip, 2007, Cham Muslims of the Mekong Delta, Honolulu : University of Hawaii Press.
                27. TRẦN Thị Liên Claire, 2004, « La question religieuse au Việt Nam », inVietnam contemporain, sous la direction de Benoît de Treglodé et Stéphane Dover, Bangkok-Paris : IRASEC-Indes Savantes, (édition mise à jour en 2009).
                28. WEBER, Nicolas, 2005, « Contribution à l’histoire des communautés cam en Asie du Sud-Est (Cambodge, Vietnam, Siam, Malaisie) : intégration politique, militaire et économique », thèse de doctorat de civilisation vietnamienne, tapuscrit, INALCO, Paris (ouvrage tiré de la thèse à paraître en 2009 aux Indes Savantes, Paris.)
                Chú thích:
                1 L’une des quatre écoles juridiques de l’islam sunnite, qui domine en Asie du Sud-Est : en Malaisie, Indonésie et Brunei, pays où cette religion est majoritaire ; dans le Sud de la Thaïlande, le Sud des Philippines, le Cambodge et le Sud du Vi?t Nam, pays à minorité musulmane.
                2 Voir Durand (1903), Cabaton (1907), De Féo (2006). Voir également le documentaire sur les Chams Bani, Un Islam insolite (2006), réalisé par Agnès De Féo, production Soltis, Paris.
                3 Le nom des villages musulmans des environs de Châu ??c diffèrent selon l’usage qui privilégie tantôt le nom cham, tantôt le nom vietnamien. La liste des villages est donnée par leur nom usuel, avec entre parenthèses leur équivalent en cham ou en vietnamien en fonction? : ?a Ph??c (Kor Koa), Plaew Ba, Kor Khoi (Nh?n H?i), Kor Kieu (??ng K?), Sbaou/Sawabout, Châu Phong (Lamkan), Chu Giang (Machru), Kor Tbong (Khánh Hòa), Pho Phao (Kantai) près de la ville de Long Xuyên.
                4 Récit reconstitué à partir d’entretiens des membres de la communauté.
                5 Le salafisme est un mouvement doctrinal qui se caractérise par un retour aux sources, le Coran et l’islam des salaf, les pieux ancêtres (Mervin 2000 : 170).
                6 Cet article se base sur un terrain réalisé en mars et en avril 2007 dans la région de Châu ??c et à Hôchiminh-ville.
                7 Entretien avec Po Dharma, février 2007, Paris.
                8 À ce sujet, voir l’article de Jérémy Jammes dans le présent numéro.
                9 Kaum Muda et Kaum Tua sont des termes empruntés au monde malais où la même fitna s’est produite au début du xxe siècle. En Indonésie, l’organisation desmuda est la Muhammadiyah, créée en 1912 ; celui des tua est le Nahdlatul Ulama créé en 1926.
                10 Biographie reconstituée d’après sa femme Aicha (85 ans) et son petit-fils Abdulazim, mars 2007, dans leur maison familiale de ?a Ph??c. Originaire de Sacramento en Californie comme beaucoup de Chams réfugiés aux États-Unis, Abdulazim est récemment rentré au pays pour se marier avec une Chame de son village d’origine.
                11 Mohamad Badri est mort le 29 juin 2005 à l’âge de 84 ans.
                12 Voir le récit de Zakaria Adam rapporté par William Collins (Collins1996 : 54b).
                13 Voir sa biographie (Dohamide et Dorohiêm 2004 : 129). Notamment sur sa fuite en Malaysia sous la pression des tua.
                14 Entretien mars 2007, mosquée Muhammadiya, Châu Phong.
                15 Entretien avril 2007, domicile d’ustaza Mariam à Hôchiminh-ville.
                16 Voir le documentaire Le dernier royaume de la déesse (2007), réalisé par Agnès De Féo, production Soltis, Paris.
                17 Prêche prononcé le vendredi 30 mars 2007 à la mosquée salafi Muhammadiya, la vieille de la célébration du Maulot.
                18 Entretien mars 2007, au domicile familial de son grand-père, Mohammad Badri, à ?a Ph??c.
                19 Entretien mars 2007, mosquée Muhammadiya, Châu Phong. Ce muda accusehakem Musa de collusion avec le gouvernement du Sud. Une telle accusation semble diffamatoire, car celui-ci n’aurait jamais pu être élu président du Ban ??i Di?n (Comité représentatif des musulmans) d’An Giang s’il y avait le moindre doute sur ses activités pendant la guerre. Il reste à mener une enquête de terrain sur les rôles respectifs joués par chacun des protagonistes durant la guerre et les postes représentatifs, notamment dans le Front de la patrie (M?t tr?n t? qu?c), qu’ils ont obtenu par la suite.
                20 Le comité se situe au 52 Nguy?n V?n Tr?i, dans l’arrondissement de Phú Nhu?n. Un deuxième comité sera ensuite créé dans le village de Châu Phong, près de la mosquée Niameh, pour représenter les musulmans de la province de An Giang.
                21 Entretien mars 2007, Châu Phong.
                22 Entretien mars 2007, mosquée Muhammadiya, Châu Phong.
                23 Abdulnafii s’est marié à son retour à la petite-fille de Mohamad Badri.
                24 D’après les sources de l’IUM.
                25 Longues fréquentations à son domicile de Châu Giang, avril 2007.






                Dịch nghĩa: 
                Người Hồi giáo ở Châu Đốc (Việt Nam), sự thử nghiệm của Salafism

                  Cũng như các nước khác ở vùng Đông Nam châu Á, Việt Nam là nơi tập trung khá đông cộng đồng người Hồi giáo. Theo số liệu thống kê không chính thức năm 2003, cộng đồng này có khoảng 65.000 người (chiếm 0,08% dân số cả nước), người đại diện cho nhóm người Việt theo Hồi giáo chủ yếu là người Chăm. Với việc sử dụng hệ thống ngôn ngữ Austronesian, những người Chăm này đã hình thành một nền văn hóa, lịch sử khác hẳn với người Kinh của Việt Nam. Họ chính là chủ nhân của vương quốc Champa theo Ấn giáo tồn tại từ thế kỷ II đến năm 1832. Vương quốc này đã biến mất sau cuộc chinh phục cuối cùng của người Việt, phần lớn người Chăm đã di cư và hiện đang sinh sống chủ yếu ở trong các tỉnh Ninh Thuận, Bình Thuận là hai vùng trước đây thuộc vương quốc Champa, phía tây đồng bằng sông Cửu Long (An Giang và Tây Ninh), một cộng đồng khác sống ở thành phố Hồ Chí Minh (xem thống kê dưới đây). Họ chính là người Hồi giáo thuộc trường phái Shiites, theo phái Shafii và thực hiện đúng nghi thức của người Hồi giáo chính thống, không giống như cộng đồng người Champa còn lại, còn gọi là Chăm Bani, những người không theo Hồi giáo chính thống và có theo tín ngưỡng Bàlamôn, tín ngưỡng cổ xưa của họ.
                  Trên khu vực xung quanh thị trấn Châu Đốc (An Giang), giáp giới với Campuchia có rất đông những người Hồi giáo theo phái Shafii, 13.000 người sống tập trung trong 9 ngôi làng. Đối với tôn giáo chính thống của mình, những người Hồi giáo chính thống này ít nhiều có quan hệ với người Hồi giáo ở Malaysia (Kelantan), phía Nam Thái Lan và nơi thiêng liêng của họ, thánh địa Mecca - nơi mà người Arab Saudi thường xuyên đến hành hương từ cuối thế kỷ XIX đến nay. Trong thập niên 1960, cuộc cải cách Hồi giáo (M.Q chú: Phong trào phục hưng Hồi giáo) bắt đầu từ Saudi Arabia, Ai Cập lan rộng và giành thắng lợi ở nhiều quốc gia, trong đó có Việt Nam. Mặc dù phong trào này được một số đông người dân đồng tình, nhưng nó đã vấp phải sự kháng cự mạnh mẽ của người Chăm. Chúng ta có thể nhận thấy trong điều 6 này (tác giả chưa rõ điều 6 này thuộc bộ luật nào), thông qua trường hợp các làng Hồi giáo ở Châu Đốc và dựa trên ký ức của cộng đồng, người Chăm đã cho thấy sự mẫn cảm của mình khi tiếp nhận trào lưu Hồi giáo cải cách, nhận thấy sự cởi mở trong chính sách tôn giáo của chính phủ ta sau năm 1975. 
                  Lịch sử của người Chăm Châu Đốc
                  Người Chăm đã có mặt ở Châu Đốc (tiếng Khmer: Moat Chrouk) trong các thế kỷ gần đây, cụ thể là họ sinh sống ở nơi đây vào nửa đầu thế kỷ XIX, khi nhà Nguyễn đem quân chinh phục hoàn toàn công quốc Panduranga vào năm 1832. Sau đó, quốc gia Đại Nam tiếp tục chinh phục các vùng đất còn lại ở đồng bằng sông Cửu Long lúc đó còn thuộc quyền cai quản của người Khmer. Với các kinh nghiệm chính trị vốn có của mình, người Việt đã tổ chức lại các cộng đồng người Chăm ở Campuchia và Malay, đặt chức quan Chvea (?) đóng ở Campuchia để cai trị. Nhà sử học Nicholas Weber, người chuyên nghiên cứu lịch sử Việt Nam, nhận định sự tổ chức này là "một phần của quá trình khai phá lãnh thổ trên vùng đất Campuchia" (Weber, 2005: 171 - 172). Năm 1834, tướng Trương Minh Giảng làm sớ tâu lên vua Minh Mạng về sự cần thiết phải kêu gọi người Chăm ở Campuchia về nước. Để làm được việc này, ông đã sử dụng một sự tranh chấp nhỏ giữa Khmer và Việt Nam vào đầu thế kỷ XVIII để biện minh cho sự can thiệp của mình  (Weber, 2005: 173 - 174). Một khi lãnh thổ người Chăm ở đồng bằng sông Cửu Long bị quân Việt thôn tính, cộng đồng người Chăm sẽ thuộc về họ.
                  Người Chăm ở Campuchia cùng với Chvea (lãnh đạo của họ) khai phá lãnh thổ không có giới hạn nào cả kể từ khi người Việt vào năm 1818 đã đóng quân trên vùng đất này, họ phát triển kinh tế và chống lại các cuộc nổi dậy của người Khmer, họa người Xiêm xâm lược. Vì thế, người Chăm đã chuyển đến sinh sống ở các tỉnh Tây Ninh, An Giang, trong khi đó, 2.000 người Chăm từ Phnom Penh chuyển đến sinh sống ở Châu Đốc vào năm 1841.
                  Làn sóng di cư thứ hai của người Chăm Châu Đốc bắt đầu từ năm 1858. Sau cuộc nổi dậy của người Chăm chống chính phủ vương quốc Campuchia thất bại, các nhà lãnh đạo người Chăm đã cùng nhân dân, binh lính bỏ sang Châu Đốc và giải quyết thỏa thuận với thống đốc quân sự Việt Nam ở đây. Năm sau, họ lại bất ngờ tấn công Phnom Pênh và kinh đô Oudong, cuộc tấn công này được người Việt ủng hộ, điều đó minh chứng cho sự tồn tại của người Chăm ở Châu Đốc (Mak Phoeun 2003: 91).
                  Như vậy, con cháu của những người Chăm lưu vong ở Campuchia, trong khi chính vương quốc của họ đã bị tiêu diệt bởi nước Đại Nam đã chính thức hòa nhập vào cộng đồng người Khmer ở đây. Sự hòa nhập này đã được Weber ghi nhận "không phải là quá trình Việt hóa, không giống như những người Panduranga mới chinh phục" (Weber 2005: 202). Quá trình hòa nhập này kéo dài liên tục trong hơn 1 thế kỷ đến khi đất nước thống nhất vào năm 1975. Người Chăm ở Panduranga cũ bị chính quyền mới tịch thu đất đai và mất nền tảng cấu trúc xã hội theo tinh thần địa phương (Po Dharma, 2003). Còn người Chăm ở đồng bằng thì không có tiếp nhận văn hóa mới, trong khi văn hóa truyền thống Hồi giáo của họ đã kết nối với phần còn lại của thế giới Hồi giáo như một bản sắc riêng biệt. Theo Po Dharma, nỗ lực duy nhất để "định dạng" cho người Hồi ở đồng bằng sông Cửu Long đó là áp đặt họ phải treo tấm ảnh Hồ Chí Minh trong các nhà thờ Hồi giáo. Tuy nhiên quyết định này bị chính phủ hủy bỏ sau nhiều tháng dài tranh luận với các lãnh tụ Imam. 
                  Phả hệ Kaum Muda
                  Bắt đầu từ Đa Phước, phả hệ này đi một hành trình dài và đặt điểm cuối ở Châu Đốc, An Giang và đó cũng chính là sự lựa chọn đúng đắn của chính quyền địa phương, khi họ quyết định biến nó trở thành khu du lịch để hút khách. Một chuyến du lịch thăm Đa Phước luôn nằm trong tuor đi sông Mekong trong vài ngày, được cung cấp bởi các cơ quan du lịch ở Tp. Hồ Chí Minh. Nó cũng tương tự như hệ thống du lịch được thiết lập từ lâu ở Tây Ninh. Dọc đường đi ta sẽ thấy hai cửa hàng bán quà lưu niệm về Hồi giáo, đó là hijab (khăn trùm đầu Hồi giáo), kopiah (mũ calô trắng) hoặc Koper (mũ màu đen có nguồn gốc Malay ). Để tối đa hóa về thương mại cho mình, người Chăm đã đưa hầu hết các hàng hóa từ các vùng khác như hàng dệt thổ cẩm H'Mong, Cơ Ho về bán, một sự pha trộn văn hóa phù hợp với thương mại.
                  Đằng sau sự thành công về mặt thương mại của một số người dân trong làng, Đa Phước còn thành công về ghi nhớ các sự việc diễn ra trong tập thế họ. Cụ thể, năm 1960 đã xảy ra cuộc xung đột lớn của người Hồi trong khu vực, tiêu biểu là hai nhóm thanh niên người Hồi Kaum Muda và Kaum Tua, giữa 2 vấn đề là cải cách văn hóa và giữ nguyên truyền thống như trước đây. Nơi đây cũng chính là nơi Mohamad Badri lớn lên, người giới thiệu Hồi giáo như là salafi (chưa rõ nghĩa của từ này) và ông này đã người kháng cự mãnh liệt những người Hồi giáo truyền thống và kêu gọi cải cách.
                  Sinh năm 1921, Mohammad Badri đã mồ côi cha mẹ, ông giành 20 năm trong đời mình nghiên cứu các làng người Chăm ở Campuchia. Một người khác là Marcel Ner, nhà khoa học người Pháp làm việc ở trường Viễn Đông bác cổ từ 1929 - 1937, cùng nghiên cứu về vấn đề trên cùng lúc với Badri. Các tác phẩm của 2 ông phần lớn mô tả khá tỉ mỉ các làng Trea (?) như là một trung tâm văn hóa của người Hồi ở cả hai nước (Ner, 1941). Các học sinh theo khuynh hướng truyền thống sẽ học theo các khóa học ở các trường Hồi giáo ở Kelantan (Malaya), nơi được xem là "thánh địa Mecca ở ngoài trời" trước khi đi học vào các trường đại học lớn ở các nước Ả rập (Guerin, 2004). Theo tài liệu tự thuật của mình, Badri nói rằng sau khi học ở Kelantan xong, ông vào Đại học Al - Azhar ở Cairo học tập và thi lấy học vị tiến sĩ nghiên cứu Hồi giáo ở đây. Về nước, ông đã tham gia giảng dạy tại một số trường học Hồi giáo ở Châu Giang (mà ông có thể đi bằng phà từ Châu Đốc sang). Vào đầu những năm 60, ở tuối 40, ông tiếp nhận tư tưởng salafism từ tay vị Imam Moussa, một người Chăm ở Campuchia vào năm 1954 và Moussa tiếp nhận học thuyết trên khi còn học ở Kelantan. Trong cuộc hành hương đến Mecca, Badri khẳng định ông sẽ trung thành với học thuyết đó và phản đối sự "thiếu hiểu biết" của dân trong làng mình. Theo ý kiến của gia đình, ông là người salafi đầu tiên